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Pas simple d’apprendre…..

Climat familial et rencontres décisives se révèlent aussi importantes que l’intelligence et l’enseignement. « Apprendre à apprendre », disait-on. Encore faut-il avoir l’envie, portée par des figures sécures, des passeurs, de s’ouvrir au monde….

Sommes nous plus obnubilés par les contenus de savoirs que par la façon de transmettre, de donner l’appétence et les outils d’intelligence ?

« …et lui donner l’idée qu’il peut penser lui-même… » Ferdinand BUISSON

Voici un bon article dans Sciences Humaines:

Héloïse Lhérété

Sciences Humaines Mensuel N° 318 – Octobre 2019

Article mis à jour le 07/02/2020

La réussite scolaire est injuste. Elle est inégalement répartie parmi les élèves, y compris chez ceux qui travaillent. Pour autant, tout n’est pas joué d’avance.

Des ingrédients connus, mais une recette introuvable : ainsi pourrait-on résumer l’état des savoirs sur la réussite et l’échec scolaires. Parmi ces ingrédients, l’intelligence, la motivation, le capital culturel, la qualité de l’enseignement semblent incontournables. Mais aucune alchimie ne garantit la métamorphose d’un jeune enfant en brillant élève. Commençons donc par tordre le cou à quelques clichés. Naître dans un milieu privilégié n’assure pas automatiquement la réussite ; des enfants très intelligents peuvent se retrouver en échec au collège ; la motivation n’assure pas la compréhension des consignes ; le travail n’aboutit pas toujours à la réussite ; d’anciens cancres se révèlent à 20 ans, sans que personne ne les ait vu venir. En matière d’éducation, les théories trop simples ou trop déterministes se heurtent à mille contre-exemples. L’être humain réserve toujours des surprises à celui qui tente d’en écrire par avance la trajectoire.

Mais il reste un fait dont tout enseignant fait l’expérience au quotidien : entre plusieurs élèves du même âge, les différences sont légion : elles sont d’ordre cognitif, social, comportemental, affectif, économique, linguistique, culturel, psychologique. Ces disparités individuelles permettent-elles d’expliquer les inégalités de réussite ? Comment épauler chaque enfant au mieux ? Existe-t-il des secrets de l’excellence ? Dès la création de l’école obligatoire, en 1882, ces questions se sont imposées comme un sujet d’investigation scientifique en même temps qu’un enjeu politique.

1. L’intelligence, c’est utile…

L’intelligence a longtemps été pressentie comme le grand facteur explicatif de la réussite et de l’échec. Dès la fin du 19e siècle, en France, le ministre de l’Instruction publique met en place une commission pour comprendre pourquoi tous les enfants ne profitent pas également de l’enseignement proposé. C’est dans ce cadre que le psychologue Alfred Binet, assisté de son confrère Théodore Simon, développe en 1905 le premier test d’intelligence. Son idée, à ce moment-là, n’est pas de repérer les meilleurs : il s’agit plutôt d’identifier les élèves « arriérés » pour les mettre dans des classes adaptées, dans une démarche intégrative.

Les études sur l’intelligence se multiplient dans la foulée. Elles vont donner lieu à de très vifs débats. D’où vient l’intelligence ? Peut-elle être stimulée, cultivée (Victor Hugo disait des maîtres d’école qu’ils étaient des « jardiniers en intelligences humaines ») ? En existe-il une seule ou plusieurs formes ? Parmi les théories les plus célèbres figure celle du psychologue anglais Charles Spearman, contemporain de Binet. Selon lui, l’intelligence est un facteur général, le « facteur g », qui intègre les grandes compétences cognitives. Lorsqu’un enfant est bon dans un domaine, il est donc probable qu’il soit bon partout… Cette conception de l’intelligence a trouvé des prolongements récents sous l’impulsion de la neuroimagerie. Face à des tâches complexes, tout un réseau neuronal s’active. Les différentes zones cérébrales se connectent : aires frontale, pariétale et temporale, gyrus cingulaire… Rex Jung et Richard Haier, à l’origine de la « théorie de l’intégration fronto-pariétale » (2007), en concluent ainsi que les individus dont le cerveau présente une bonne connectivité seraient plus intelligents : ils mémorisent mieux, relient aisément des informations, raisonnent plus vite (1). Aussi réductrice puisse–t-elle paraître (l’intelligence, simple affaire de connectivité biologique ?), cette théorie se voit confortée par le suivi de cohortes d’enfants : l’intelligence ainsi définie se révèle être un bon prédicteur de la réussite scolaire…

Howard Gardner développe quant à lui en 1983 une tout autre thèse. Il existerait, selon ce psychologue américain, non pas une, mais neuf formes d’intelligences indépendantes : linguistique, musicale, logico-mathématique, spatiale, kinesthésique, interpersonnelle, intrapersonnelle, naturaliste et existentielle. Cette « théorie des intelligences multiples », encore débattue, rencontre un grand succès dans le monde éducatif. Elle a le mérite d’être moins élitiste que la théorie du « facteur g » : si chacun a sa forme d’intelligence, chacun peut réussir dans un domaine. Il suffit de trouver lequel…

2. …à condition de savoir s’en servir…

En 1979, une nouvelle explication fait irruption en psychologie : la métacognition. Forgé par John Flavell, ce terme renvoie à la « connaissance que l’on a de ses propres processus cognitifs ». La métacognition diffère de l’intelligence. On peut avoir le QI d’Einstein mais présenter des difficultés d’apprentissage et de méthode. C’est le paradoxe de certains enfants précoces qui cumulent les mauvaises notes : tout se passe comme si leur cerveau était une rutilante voiture de sport dont ils ne détiendraient ni la clé ni le mode d’emploi. À côté d’eux, ceux qui pédalent à vélo (ce qui demande certes un peu d’effort) avancent plus sûrement et plus loin…

De la maternelle au supérieur, la métacognition est sans cesse sollicitée. Face à un exercice, il faut analyser la consigne, réfléchir aux attentes du correcteur, mobiliser les connaissances pertinentes, inhiber les mauvais réflexes intellectuels, vérifier son travail, se corriger… Ces opérations mentales sont plus décisives que le QI en lui-même, auquel elles ne sont qu’en partie liées, selon Marcel Veenman, directeur de l’Institut de recherche sur la métacognition (Pays-Bas) : « Même les étudiants très intelligents doivent acquérir des compétences métacognitives, sans quoi ils risquent de se trouver en difficulté au moment où les sujets vont se complexifier et où la pression des examens va augmenter. De même, beaucoup d’étudiants qui ne sont pas si brillants peuvent compenser en faisant preuve d’une grande métacognition (2). »

Peut-on entraîner ses compétences grâce à des exercices spécifiques ? Beaucoup aimeraient le croire, mais les études à ce sujet restent lacunaires. D’ores et déjà, devant l’engouement des parents, de nombreux éditeurs (3) et laboratoires mettent au point des programmes pour développer la concentration, le raisonnement ou l’attention visuelle.

3. …de mettre du cœur à l’ouvrage…

Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs en psychologie s’intéressent aussi à nos émotions. Ils s’efforcent de mieux saisir l’articulation entre les différentes composantes intellectuelles, métacognitives, motivationnelles et émotionnelles (modèles du self-regulated learning), avec l’idée que notre vie affective irrigue constamment nos représentations du monde, notre engagement dans l’action et dans le travail. De fait, les élèves ne sont pas seulement des êtres de raison. Ils ressentent des émotions en permanence : désir, excitation, émulation, colère, honte, fierté, peur… Ces émotions peuvent faciliter leurs apprentissages ou les freiner en cas de stress ou de souffrance.

Du côté des théories de la motivation, les modèles sont aujourd’hui très variés. Certains psychologues mettent l’accent sur la curiosité et le désir d’apprendre (Stanislas Dehaene), d’autres sur le sentiment d’efficacité personnelle et la confiance en soi (Antonio Bandura), d’autres encore sur la passion, la niaque, le goût du défi (Carole Dweck, Angela Duckworth), d’autres enfin sur les scénarios virtuels que chacun, enfant ou adulte, se fabrique au quotidien (Olivier Houdé) : anticiper un sentiment de fierté – en cas de succès – ou de regret – dans le cas inverse – suffit souvent pour se mettre au travail.

4. …d’être favorisé par son milieu…

Aux côtés des psychologues, avec lesquels ils dialoguent peu, les sociologues soupèsent quant à eux le poids du milieu familial et social. En 1964, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont montré, dans Les Héritiers, comment les parents favorisés transmettaient « par osmose » tout un ensemble de dispositions : « Des habitudes, des entraînements et des attitudes qui servent directement les élèves dans leurs tâches scolaires. »

De nombreux sociologues contemporains reconnaissent leur dette à l’égard de P. Bourdieu et J.C. Passeron. Ils cherchent aussi à dépasser leur modèle. Gaëlle Henri-Panabière, par exemple, nuance l’analyse en montrant qu’il existe des « héritiers en échec scolaire », notamment lorsque les parents sont déconnectés des exigences scolaires ou méprisent ouvertement les enseignants (4). Pour Bernard Lahire, la réussite scolaire est sous-tendue par une « disposition générale à l’égard du langage ». Quels que soient la profession des parents et leur milieu social, le fait de grandir dans une culture de l’écrit (avoir des livres dans sa chambre, voir ses parents lire et écrire, jouer avec des lettres magnétiques…) permet d’acquérir un rapport réflexif au langage. Combinée avec un climat familial serein, cette disposition représente un sésame pour comprendre les attentes scolaires.

Plus récemment, Sandrine Garcia a remis en cause l’idée d’une transmission « osmotique » de parents à enfants, aussi bien que celle d’un don intellectuel des enfants en réussite. Elle a enquêté sur les pratiques des familles des milieux favorisés, qui en font beaucoup plus pour leurs enfants que ce qu’elles déclarent : les devoirs sont généralement surveillés et complétés par des exercices supplémentaires ; les activités sportives, culturelles et même domestiques se voient saturées d’exigences éducatives ; le recours à des cours particuliers est fréquent et les réseaux relationnels mobilisés. Ces mêmes parents développent des compétences redoutables en matière d’orientation : choix des filières, de l’établissement, allant parfois jusqu’à déménager pour avoir accès un lycée prestigieux. Cet investissement, lorsqu’il ne se mue pas en une pression étouffante, offre un avantage significatif aux enfants.

5. …de rencontrer les bonnes personnes.

Enfin, de nombreuses recherches en sciences de l’éducation sondent l’effet prof, l’effet pairs ou l’effet établissement sur la réussite des élèves. Plus difficiles à quantifier en termes d’influence, les qualités personnelles d’un enseignant, son caractère, sa passion pour sa discipline ou pour ses élèves suffisent parfois à produire un déclic chez un adolescent, qui va alors prendre goût pour l’histoire ou la philosophie, avec un effet de cercle vertueux. C’est ainsi que le jeune Malo, rencontré par Maël Virat, a raccroché avec l’école par la grâce d’une enseignante affectueuse. C’est d’ailleurs parfois hors de l’école que se produit la rencontre décisive : un éducateur charismatique, une petite amie ambitieuse, un professionnel passionné.

Qu’est-ce qui compte le plus ? L’intelligence, la métacognition, la motivation, le bien-être, le milieu social, les profs, les rencontres… ? La réponse n’est jamais qu’individuelle et provisoire. Certains se baladent avec une facilité insolente dans leur scolarité, d’autres empruntent des chemins sinueux mais connaissent des réussites professionnelles ou existentielles bien plus belles à l’âge adulte. J’ai eu l’occasion récemment de découvrir ce qu’étaient devenus mes camarades de classe, dans un collège public de province. Leurs métiers, très variés, n’ont plus grand-chose à voir avec leurs bulletins de notes : on trouve une directrice d’hôpital, un charpentier volant, une cheffe de cuisine dans un palace, un concepteur de séjours touristiques, un chanteur d’opéra, un créateur de jeux vidéo, un photoreporter (celui-ci, après avoir lâché son job de commercial, fait en ce moment le tour du monde à vélo avec son appareil photo), un patron de bar, un champion de Frisbee et même une célèbre actrice de cinéma. Que s’est-il passé dans la vie de chacun ? Impossible de savoir : une alchimie complexe, ou peut-être un seul petit ingrédient. Cette incertitude signifie une chose : pour chaque enfant, les jeux sont plus ouverts qu’il y paraît.

« Bon élève » : de quoi parle-t-on ?

Est-ce celui qui travaille dur ou celui qui a des facilités ? La réponse à cette question varie selon les enseignants, premiers juges en la matière.

Rien n’est plus relatif que la notion de « bon élève ». Elle varie dans le temps : un bon élève de primaire peut se retrouver en échec quelques années plus tard, ou inversement. Elle varie aussi selon le niveau de la classe et la personnalité de celui qui porte le jugement. Certains enseignants vont s’appuyer sur les seuls résultats de l’élève, d’autres vont regarder ses efforts ou son comportement. Lorsqu’on les interroge, ils mettent en avant quelques critères de distinction. Le bon élève, c’est :

• Le meilleur : le bon élève, c’est celui qui obtient de meilleures notes que les autres, a des facilités et de la culture, travaille vite et mieux, est « tête de classe ». Cette définition rencontre celles d’excellence et de hiérarchie scolaire. À noter toutefois que cette catégorisation ne correspond pas nécessairement à des compétences avérées : elle dépend fortement du niveau de la classe et de l’établissement. Les classes préparatoires sont ainsi remplies de « bons élèves » de lycée qui peuvent se retrouver soudainement propulsés dans la catégorie de « mauvais élèves » en raison de leur nouveau classement (1).

• Le curieux : certains enseignants récusent ce regard compétitif sur l’école. Plutôt que le classement, ils vont considérer la maîtrise ; plutôt que les notes, le comportement ; plutôt que le résultat, la trajectoire : l’élève est-il curieux, intéressé, attentif, motivé ? Progresse-t-il ? Ainsi, madame Allegra, qui enseigne depuis 35 ans dans une école primaire du Pas-de-Calais, affirme-t-elle : « Un bon élève, c’est un enfant qui est demandeur, qui a envie d’apprendre. C’est pas forcément un élève qui réussit. Celui qui a envie d’apprendre mais qui a du mal, il finira par s’en sortir. Alors qu’un bon élève qui se laisse vivre, il n’ira pas plus loin (2). »

• Le travailleur : dans la typologie qu’elle propose des lycéens (3), la sociologue Anne Barrère distingue deux figures de travailleurs : le « bosseur » et le « forçat ». Le premier obtient des résultats cohérents avec son investissement : lorsqu’il travaille, il réussit et satisfait ses enseignants. Le « forçat » est une figure plus tragique et paradoxale : il ou elle travaille d’arrache-pied mais ses résultats ne suivent pas. « Subjectivement, il (elle) se vit comme un (une) très bon(ne) élève, mais n’en est objectivement pas un(e). »

• L’autonome : l’autonomie est aujourd’hui la qualité cardinale de l’élève « idéal » (4). L’élève parfait, qui fait l’unanimité, est celui qui a intégré les attentes scolaires. Il est non seulement performant, mais aussi discipliné et bon camarade. Il a intériorisé tôt ce qu’on attend de lui. « Le bon élève, résume ainsi le sociologue Philippe Perrenoud, n’est-ce pas celui qui se dit tout seul : “Ai-je choisi le bon exercice ? Adopté la bonne méthode ? Pris mes affaires ? Fait correctement mes devoirs ?” Il se contrôle constamment lui-même, relayant sans s’en rendre compte ses maîtres et ses parents  (5). »

Le regard de… Bernard Rey
Pourquoi certains bons élèves de primaire s’écroulent au collège

« L’école primaire est dominée par l’apprentissage de « procédures » : on y enseigne aux élèves la technique opératoire de la multiplication, la conjugaison, les règles d’orthographe, etc. par des exercices répétitifs qui permettent de les automatiser. Mais face à un problème mathématique ou à une situation de la vie courante, les automatismes ne suffisent pas. Aucune procédure ne permet de savoir s’il y a lieu de mettre en œuvre une multiplication, une addition, un calcul de fraction…

C’est là qu’intervient ce que nous appelons « compétence », c’est-à-dire, dans un domaine donné, la capacité à analyser une tâche nouvelle, à raisonner, afin de déterminer quelles sont les procédures qu’il convient de mobiliser et de combiner : non pas seulement déchiffrer un texte, mais le comprendre ; non pas seulement effectuer des opérations arithmétiques, mais s’en servir pour résoudre des problèmes, etc. L’élève doit pour cela réfléchir par lui-même dans le cadre d’activités intellectuelles complexes et à chaque fois inédites. C’est, évidemment, à la fois beaucoup plus intéressant et beaucoup plus difficile à obtenir.

Il peut arriver qu’à l’école primaire, des élèves arrivent à se maintenir à flot par la seule maîtrise de procédures (qui sont évidemment nombreuses dans les programmes des premières années). Leurs difficultés au collège sont souvent attribuées au changement de cadre ou aux tempêtes de l’adolescence. Les recherches récentes montrent que ce sont plus tôt les nouvelles attentes scolaires qui les mettent en difficulté. Dès les dernières années du primaire et, d’une manière définitive, au collège, les tâches qui n’exigent que la mise en œuvre immédiate d’une procédure deviennent minoritaires au profit de celles qui exigent de vraies compétences. Certains y ont été préparés, d’autres moins ou moins bien. Cette situation détermine d’énormes inégalités de réussite scolaire. »

Propos recueillis par Fabien Trécourt

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